Les  écrits:

Aujourd’hui, dans ce petit village au cœur des Landes, une grande fête se prépare. Tout le monde s’active : certains vont cueillir des arbouses, d’autres des bruyères et des fougères pour décorer le centre des tables. Les femmes sont aux fourneaux avec une alléchante odeur de pastis landais et de tourtière qui accompagneront le rôti de bœuf de Chalosse. Les hommes, eux, ne se sont pas fait prier pour aller vers les caves pour choisir les bouteilles de vin de Tursan et d’Armagnac.

Les petits chenapans préfèrent profiter des embruns de l’océan et courir sur le sable blond à travers les oyats en longeant le courant d’Huchet.

Firmin lui chausse ses échasses et décide d’aller vers la forêt. Il aime cette solitude auréolée de ces grands pins majestueux. Il écoute le murmure du vent dans leurs cimes et hume avec délectation cette résine qui s’écoule le long de l’écorce. Il contemple, sans jamais se lasser le jaune sucré et éblouissant des genêts et des ajoncs. Tout ceci c’est son royaume à lui, loin de l’effervescence des courses de vaches landaises. Il bifurque à droite évitant les marécages mais patatras… quand il se relève ses genoux sont écorchés et ont viré au bleu. Sa maman n’est pas là pour le réconforter mais depuis tout petit, elle lui a raconté un secret et lui a montré le chemin de la source des ombres bleues. Vite, il faut réunir toutes les conditions : le soleil est à sa place. Il ramasse un caillou bien lisse pour le frotter sur son corps meurtri et se remémore la phrase magique… « je te donne ma couleur à vous les ombres bleues pour que vous la portiez au ciel… »

Pendant ce temps, à l’airial, les victuailles ont pris place sur les tables et tout le monde s’accorde à lever les verres et à parler fort…. mais commence à se dégager une odeur pestilentielle. Le silence s’abat tel la foudre. Tous les convives n’ont qu’un mot à la bouche : GRATEUS. Ils crient, ils courent…. « GRATEUS est là…c’est sûr…Vite quittons nos maisons… Nous ne pouvons plus respirer ». La forêt est leur seul refuge mais bien vite hélas, ils réalisent que GRATEUS les a condamnés à errer sans vivre, isolés, loin de tout.

Depuis sur ce chemin, une croix nous rappelle à nous promeneurs que les Landes restent mystérieuses et qu’il faut savoir l’apprivoiser pour être accepté dans ce pays aux multiples sources et malins

Laurence Juin 2025

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« Tu es prête ? » Oh que oui, elle était prête.

Il avait tout préparé. Elle voulut retourner la terre de joie, mais elle avait oublié qu’ils étaient des poissons.

Les clochers firent entendre leurs sons, assourdissants. « Viens que je t’entraîne pour une dernière danse ! » Ils plongèrent dans l’eau, enlacés qu’ils étaient ; leurs corps frêles décrivaient des demi-cercles, et se serraient pour jaillir hors de l’eau.

« Bateau, sur l’eau »

L’île aux poissons était perdue dans l’océan.

Des amis, ils en avaient, oui, des foncés, des argentés…Mais à ce moment-là eux-seuls comptaient, leur danse tourbillonnante. Ils se fondaient l’un en l’autre. Leur beauté était sans égale.

Je crois qu’ils s’aimaient. Oui, ils s’aimaient pour danser ainsi.

AL Avril 2025

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Quel est ce signe là sur sa peau ?

Elle est née voilà une heure et ce signe là déjà la distingue.

Sa mère s’interroge sur ce mystère.

Elle pleure à l’idée d’une faute oubliée qu’il lui faudrait expier. Le père n’entre pas dans le jeu. Il n’y a pas de justice dans ce signe, ce n’est qu’un aléa génétique, comme sa peau dorée ou sa bouche en cœur.

Dans toutes les langues la mère s’interroge toujours: why ? porque ? pourquoi ?

Aucune réponse ne vient alors elle cesse de chercher.

L’enfant est tendre et rieuse. Deux yeux bleus illuminent son visage.

Personne ne parle plus du signe, personne n’ose même le nommer. Presque tomberait-il dans l’oubli si quelquefois dans la cour de l’école, il n’amenait quelques rires moqueurs.

Mais l’enfant non seulement rayonne mais en plus est brave. Alors elle continue d’avancer tête haute et sourire aux lèvres.

C’est notre soleil dit le père, c’est ma princesse affirme la mère, c’est notre chipie tempèrent les sœurs, c’est notre conquête claironnent les prétendants.

Mais contre vents et marées, elle poursuit son chemin, insoumise, sans bague au doigt, ni chaînes aux pieds.

Toujours elle poursuit sa quête vers le lointain : ce signe ? C’est quoi ? Pourquoi moi ?

Elle croit parfois trouver une réponse sur les traces noires d’un marc de café ou sur un jeu de tarot abîmé. Mais ce ne sont que de vains espoirs.

Alors s’en s’arrêter, chassant la nuit qui la poursuit, la femme des longues patiences se donne lentement le jour.

 Syllabe Mars 2025

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Vivre d’amour et de danse,

Vivre et chanter en liberté, 

Interpeller Dieu et danser,

Danser en direction du vent,

Danser à contre temps,

Danse-moi, il est temps !

Danser et rire souvent,

Danse-moi tendrement !

Danser dans le mouvement,

S’en aller loin devant,

Dans toutes les directions, s’envoler maintenant.

E.M.

Pour vivre heureux, vivons cachés. 

Hé oui, je vais vous parler de cette maison…c’est une maison au bout du chemin de halage. Dans le coin et même dans la région, tout le monde connaît son existence. Pour vous accueillir, devant la maison, il y a un amas d’ordures.  

Vous voulez la visiter ? Aujourd’hui c’est portes ouvertes : la porte de la maison est ouverte sur un couloir. Long couloir large, tapisseries désuètes collées au mur. 

 Cette maison sent le renfermé, tant l’humidité est là depuis longtemps. En marchant plus avant, on peut observer deux fauteuils d’ « époque », l’un étant habituellement occupé par « le vieux ». Les habitants de cette maison sont de grands travailleurs. Ils -en dehors du « vieux »- ne connaissent pas le repos. Ils travaillent tous au même endroit, à la chaîne.  

Une fois rentrés chez eux, souvent, ils apparaissent aux fenêtres comme autant de fantômes. Comme pour forcer le trait, les fenêtres ont des rideaux de dentelle blanche. 

Ces personnes aiment les gens. Pourtant, jamais ils n’invitent des amis. 

Anne 14 octobre 2024 

Petit Jean avait une grande bergerie dans un airial du côté d’Allons. Il emmenait ses bêtes paitre dans les landes environnantes du lever du jour au coucher du soleil.

Monté sur ses échasses il les surveillait attentivement en tricotant des chaussettes qu’il échangeait au colporteur contre des pièces de tissu ou quelques casseroles.

Ninon, sa femme était vaillante et bonne cuisinière et tout aurait été au mieux pour Petit Jean sans le choucaloupe. Cette espèce de monstre avait l’apparence d’un loup noir avec un bec et des yeux de corbeau. Il avait des pattes avec des griffes acérées et deux grandes ailes d’au moins deux mètres.

Les nuits de brouillard, il survolait les bergeries et emportait mouton ou même berger qui n’étaient pas abrités.

Depuis le début de l’automne il avait chaque nuit volé un mouton à Petit Jean.

C’est qu’il y a souvent du brouillard à la mauvaise saison et Petit Jean n’osait pas sortir sauver ses bêtes de peur d’être attaqué lui-même.

Quand Pâques arriva Petit Jean n’avait plus de larmes pour pleurer tant il en avait versées de désespoir à voir ses moutons disparaitre.

Sa femme s’inquiéta de le voir les yeux sui secs qu’il n’avait pu pleurer à l’enterrement de la mémé.

Sur les conseils des commères du village, elle l’amena à la source de Fantasmagorie.

Là, un grand jet sortait d’une pierre. La brave Ninon obligea son jean à réciter des prières pour lui-même en plongeant sa tête sous le jet sept fois en une minute.

Elle lui sécha la tête pendant qu’il râlait que c’était bien des histoires de bonnes femmes. Elle le fit taire d’un baiser pour que la source ne l’entendit pas et le ramena à ses moutons.

Trois jours plus tard, Petit Jean aida une brebis à mettre bas et devant ce nouveau petit être si fragile, il fut saisit d’émotion. Il sentit les larmes lui monter aux yeux et les essuyant du dos de la main, il chuchota : « Sacrée Ninon, vay ! »

SL juin 2025

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J’inspire…plutôt je soupire…

Je repense à ma vie palpitante, pendant que je suis en train de nettoyer mes vieilles casseroles.

« Voilà ce que je suis, encore une femme utile » me dis-je.

Perdue dans mes pensées, je me suis mise à danser, une musique tourne en boucle dans ma tête.

Pépé le perroquet, dans sa cache en me regardant, s’est mis à se balancer au même rythme.

Je pensais en même temps à mon organisation de la journée. Une énigme. Je soupire.

Après tout, je ne suis qu’humaine, une femme cachée sous une carapace. Le monde a beaucoup d’attente, on doit être féminine, être habile. Troisième soupir.

C’est avec beaucoup de sagesse, que je me suis consolée en me disant que la femme des longues patiences se donne lentement le jour.

Céline Mars 2025

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Depuis l’enfance elle est habitée par cette angoisse de l’équilibre.

Mais où donc trouver ce point magique qui confère à la balance son insouciance ?

Pencher à droite, à gauche, revenir au cœur, à l’essentiel !

Ça, elle sait faire avec les sentiments, elle peut aussi avec les pensées…   trouver l’équilibre entre l’angoisse et la légèreté… mais son corps !

Cette chose qui s’emmêle, s’égare, plie, rompt, se vautre, s’avachit, se méprise, se mutile, s’annihile…

Il ne sait ni où est le nord, ni aller au sud, se perd à l’est et part complètement à l’ouest.

Elle voudrait tournoyer comme une plume emportée par le vent mais n’éprouve que la pesanteur d’une plume plaquée au sol par la pluie.

Alors elle reste là, figée. La musique enlace son corps et elle n’ose esquisser un geste : l’équilibre, où est l’équilibre ?

Son âme vibre, sa bouche chante mais son corps de plomb ne résonne que de ses peurs.

D’un regard affamé elle dévore les autres corps, leurs envolées sur des accords d’équilibristes.

Elle voudrait tourbillonner aussi. Son corps tendu d’espoir vacille.

Une main la saisit, un bras l’enveloppe… elle se laisse emporter, se plie, se courbe, glisse, s’éloigne, se rapproche, étreint…

Le point d’équilibre, là, juste entre les deux. Elle sait désormais. Elle peut s’élancer.

SL

Quand j’étais enfant, j’allais souvent en vacances chez ma grand-mère avec ma cousine Marie. 

Non loin de chez elle au pied de la colline, il y avait une maison bleue. 

Nous la regardions à distance pendant nos promenades. 

Devant la maison il y avait un puits en pierre moussu et les fenêtres étaient fleuries de géranium.. 

Souvent on entendait de la musique : les habitants de la maison étaient des joyeuses personnes et faisaient souvent la fête dans le jardin. J’imaginais, petite fille naïve, qu’ils ne faisaient que s’amuser puisque jamais je ne les voyais vaquer à leurs occupations. 

Un jour que notre balade nous conduisait plus prés de la maison, nous avons vu que la porte était grande ouverte et qu’il régnait un étrange silence. 

Timidement nous nous sommes approchées. Ne voyant personne dans le jardin nous sommes allées jusqu’au seuil de la maison. « Il y a quelqu’un ? ».Avons-nous demandé. Devant l’absence de réponse nous sommes entrées. Dans la pièce de vie, tout était dévasté comme si une tornade était passée par là : il ne restait plus le moindre petit espace vital ! 

La maison sentait la cire d’abeille et le patchouli mais aussi une odeur écœurante que nous ne pouvions identifier. 

Soudain un gémissement sortit de derrière une table renversée. Terrorisées nous nous sommes enfuies. Arrivées hors d’haleine chez notre grand-mère nous lui avons raconté notre histoire. 

Elle a appelé sans attendre les pompiers et les gendarmes et c’est ce qui a sauvé la propriétaire de la maison. Mais pas son amant. Le mari pris d’une rage folle à la découverte de leur infidélité avait trucidé son rival et tenté de faire subir le même sort à sa femme. Ensuite il avait saccagé ce qui avait été la maison du bonheur. 

Désormais ce qui fut une maison joyeuse est un lieu abandonné où personne ne rentre plus. 

Quant à moi je ne crois plus aux histoires d’amour. 

Syllabe 14 octobre 2024